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Tuer les animaux qui ne cadrent pas...2


Les populations d’origine européenne ont tué les bisons pour plusieurs raisons : défricher la terre pour l’agriculture et l’élevage,  tirer profit de la vente de leurs peaux, réduire la population des amérindiens en éliminant leur source de nourriture, et s’amuser. L’approvisionnement en nourriture n’était qu’une des raisons, et rarement la raison principale,  pour chasser les bisons. En fait, il était très fréquent que les cadavres écorchés soient laissés là où les animaux étaient tombés. Et parfois, ils n’étaient même pas écorchés car ils avaient été tués juste pour le sport (1). La chasse aux bisons pour le sport est devenue encore plus populaire à mesure que se construisaient les lignes de chemin de fer  à travers le continent. Examinons ces récits datant des années 1867 et 1872 (2).
« Peu de lignes de chemin de fer dans le monde offrent aux sportifs et aux chasseurs des équipements dignes de ceux de la Kansas Pacific. Dans quel autre endroit du monde un homme a-t-il la possibilité de s’enfoncer  dans les sièges luxueusement capitonnés d’un wagon de la Pullman Palace glissant sur la plus uniforme des voies ferrées et de regarder au dehors les immenses troupeaux de ces Monarques des Plaines  - les bisons – certains allant maladroitement au petit galop à une centaine de mètres du train, et d’autres plus loin, le regardant avec une sorte d’étonnement stupide et paresseux. »
« Presque tous les trains qui quittent ou arrivent à Fort Hays sur la ligne de chemin de fer de la Kansas Pacific ont leur course avec les troupeaux de bisons ; et il en résulte une scène des plus intéressantes et stimulantes. Le train « ralenti » à une vitesse à peu près égale à celle du troupeau : les passagers sortent les armes à feu fournies pour la défense du train contre les indiens et, à partir des fenêtres des voitures, ouvrent un feu qui ressemble à une vive escarmouche. Il arrive souvent qu’un jeune veau fasse un moment volte-face. Sa démonstration de courage est généralement son arrêt de mort, car tout le feu du train est dirigé sur lui ou sur un autre membre du troupeau se trouvant dans son voisinage immédiat. » 

 Les chasseurs n’étaient pas retenus par des élans de compassion, comme le montre ce récit (3).
« J’ai tué, et vu tuer, des milliers de bisons femelles. Elles étaient écorchées et leurs veaux étaient abandonnés, voués à mourir de faim ou à être dévorés par les loups et les coyotes…Ces petits veaux étaient couchés près des vaches mortes. Nous devions continuellement les chasser pendant que nous écorchions les vaches. J’en ai vu essayer de téter les bisonnes. Une fois les mères écorchées et les peaux chargées dans le wagon, les veaux suivaient. Ils pouvaient sentir les peaux et les suivaient jusqu’au dépôt. Le matin suivant, ils étaient retournés à l’endroit où ils avaient tété leurs mères pour la dernière fois, pour y mourir de faim ou être tués par les loups.»

L’incessant abattage de millions de bisons n’a pas suscité de préoccupation morale car les tueurs éradiquaient une espèce qui gênait les intérêts humains dans l’exploitation des terres. Les bisons occupaient des zones qui auraient pu être pâturées par les animaux domestiques ou cultivées. Examinons la justification donnée par Frank Mayer (4), un des derniers chasseurs professionnels de bison «  Le bison avait rempli sa mission, accompli sa destinée dans l’histoire de l’Indien, en lui fournissant tout ce dont il avait besoin – la nourriture,  le vêtement, l’habitation, les traditions et même une théologie. Mais le bison ne cadrait plus aussi bien avec la civilisation envahissante de l’homme blanc – en fait, il ne cadrait plus du tout. Il ne pouvait être ni contrôlé, ni domestiqué. Il ne pouvait pas être parqué dans un corral derrière des clôtures barbelées. Il était inadapté. Il devait donc disparaître. »

A une époque où la nature était un territoire ne demandant qu’à être cultivé, pâturé, exploité pour ses minerais, son bois, ou pour toute autre utilisation profitable à l’économie humaine, les bisons avaient peu de défenseurs.  

Examinons à présent une situation contemporaine : la tuerie des moutons sur l’île de Santa Cruz, située au large de la Californie du sud, à environ 42 km  de Santa Barbara.



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1. Roe, F. J., 1970, The North American Buffalo, 2nd ed. Toronto : University of Toronto Press, p. 429 ; Fleharty, E.D., 1995, Wild Animals and Settlers on the Great Plains. Norman: University of Oklahoma Press, pp. 29 et 255 : Danz, H.P., 1997,  Of Bison and Man, Boulder University of Colorado Press, pp. 92-114.
2.  Fleharty, E. D. op.cit., p. 73-75.
3. Collison, F. 1963, Life in the Saddle, Norman: University of Oklahoma Press, p. 56.
4. Mayer, F. H. and Roth, C. B., 1958, The Buffalo Harvest, Denver : Sage Books, p. 27.