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Tuer les animaux qui ne cadrent pas...6


dans des situations où les espèces soi-disant « exotiques » sont en réalité des éléments « natifs » de la communauté biotique présente – et, deuxièmement, sur la construction de préférences pour « l’indigène », « le natif » et « le sauvage ».  Les restaurationnistes ne préfèrent cependant pas un groupe à un autre ; ils rejettent l’autre groupe estimant qu’il n’a aucune valeur, et qu’il ne mérite pas de considération morale. Ayant été privés de leur valeur en tant que marchandise, les animaux férals qui « causent beaucoup de destruction » ne se voient accordés aucune valeur intrinsèque.

Les animaux férals sont des animaux qui ont été autrefois domestiqués, ou dont les ancêtres ont été autrefois domestiqués, mais qui se sont échappés ou ont été libérés de leur interdépendance avec les êtres humains. Bien qu’autonomes et se déplaçant librement, ils diffèrent des animaux que nous appelons « sauvages » parce qu’ils appartiennent à ces espèces, très peu nombreuses, qui ont été domestiquées et peuvent, si elles sont capturées, être domestiquées.  Il y a une différence, par exemple, entre un cheval et un zèbre, le premier appartenant à une espèce dont les membres peuvent être dressés pour travailler avec et pour les hommes, le second à une espèce dont les membres demeurent rebelles même s’il arrive qu’on apprenne un tour à un zèbre. La féralisation est, sans aucun doute, un phénomène qui existe depuis que les humains ont commencé à utiliser les animaux, mais la séparation des animaux férals dans une catégorie distincte des animaux sauvages est une évolution récente. Cela ne nous intéresse généralement pas de faire cette distinction à moins que les animaux férals contrarient nos efforts pour conserver d’autres espèces ou pour récréer un paysage.  Par exemple, les chevaux et les cochons qui vivent en liberté dans d’autres parties de la Californie sont appelés simplement « chevaux sauvages » et « cochons sauvages ». Les fermiers et les ranchers, par exemple, incluent les chevaux et les cochons libres dans la catégorie des animaux sauvages tels que les cervidés, et s’appliquent à les exterminer lorsqu’ils détruisent des zones cultivées, sont en concurrence avec les animaux domestiques pour les ressources, et compromettent le bien-être économique des humains. Toutefois, les restaurationnistes appellent « férals » les cochons libres de l’île de Santa Cruz afin de leur refuser le droit de faire partie du paysage sauvage (c-à-d « naturel »). Durant les millénaires pendant lesquels les humains ont été bergers et cultivateurs, nous avons prospéré, à la fois en établissant une relation interdépendante  avec quelques espèces dociles (1) et en éliminant impitoyablement toutes espèces qui menaçaient notre approvisionnement en nourriture  en occupant une terre que nous voulions cultiver, ou en mangeant des cultures que nous avions plantées, ou en prédatant notre bétail. Nos ancêtres ont construit des frontières à la fois physiques et morales entre l’espace domestiqué, qui était prévisible et sûr parce que les humains y avaient imposé un ordre et la wilderness,  qui paraissait chaotique et dangereuse car elle était au-delà de notre contrôle. Dans les traditions de l’art et de la littérature classiques, ce n’était pas les forêts dépourvues de sentiers et les montagnes escarpées qui inspiraient les artistes, mais plutôt les paysages de vergers et de pâturages. La scène pastorale représentait une situation idéale dans laquelle les éléments de la nature vivaient paisiblement ensemble, contrôlés, mais aussi protégés par le pastor qui est le mot latin pour « berger », « l’homme qui garantit un pâturage sûr pour son troupeau ». L’utilisation de l’image du « bon berger » comme métaphore religieuse d’une divinité bienveillante indique que l’on donnait  à la nécessité de protéger les régions pastorales une dimension autant éthique qu’économique.

Nous n’avons que récemment commencé à reconsidérer notre place dans la nature et à admettre que la promotion de notre espèce s’est réalisée aux dépens de la plupart des autres espèces. A mesure que nous évaluons les dommages causés par nos pratiques d’exploitations, nous avons développé un goût pour les valeurs scientifiques, esthétiques et spirituelles des régions non civilisées. Ce n’est évidemment pas une coïncidence si la société américaine est à présent majoritairement urbaine, ce qui signifie que nous pouvons chérir la sauvageté (wildness) sans  être exposés directement à ses dangers. Aujourd’hui moins de 5% des américains vivent directement de l’agriculture. La plupart d’entre nous ne voit jamais, et a fortiori ne touche, ne soigne ou ne s’inquiète de protéger les animaux dont nous mangeons la chair ou avec la peau ou la laine desquels nous nous habillons. Ils ne partagent plus nos vies de sécurité domestique et, cachés loin des regards dans des élevages industriels et des parcs d’engraissement, ils sont rarement l’objet de notre préoccupation morale. D’un autre côté, nous nous sentons rarement menacés par des animaux sauvages. Confortablement installés dans nos jungles urbaines, nous ne percevons plus les cervidés comme des animaux nuisibles qui dévorent nos champs de


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1. Diamond, J., 1997, Guns, Germs and Steel The Fates of Human Societies, WW Norton & Co, New York, 1997.