Université de Californie, Santa Barbara
Cet
article a pour objectif d’examiner les justifications de l’élimination violente
des animaux férals lors des projets de restauration d’habitats. La restauration
d’habitats est le processus consistant à modifier un paysage, qui a été altéré
par les activités humaines, afin qu’il retrouve approximativement son ancienne
apparence. Ce retour à un état antérieur exige un degré important
d’intervention et de gestion humaines. Ce sont, bien sûr, les mêmes
comportements humains qui ont produit les altérations initiales, celles-là même
qui semblent à présent regrettables. Je ferai valoir que les tenants de
l’éradication des espèces férales continuent d’adhérer à un très ancien
paradigme qui assigne une valeur aux animaux selon les intérêts humains. Et
lorsqu’ils ne sont pas disposés à prendre en considération la détresse animale
causée par leurs projets, ils manifestent un désir de manipuler la nature
semblable à celui qui a motivé les humains depuis le début de notre existence
en tant qu’espèce.
Un
des objectifs de la restauration est d’assurer la survie de la flore et de la
faune qui existaient dans une région avant l’arrivée des humains (en
particulier des européens) et de leur bagage biologique. Tuer des espèces qui
ont été introduites par les humains et menacent à présent la survie d’espèces
qui habitent une zone depuis une période beaucoup plus longue semble être un
remède simple, rapide et relativement peu cher. Par conséquent, les tueries
sont largement tolérées par les restaurationnistes, même
lorsque les méthodes – par exemple, l’empoisonnement, le piégeage,
ou le tir – causent des souffrances considérables aux animaux. Mais
l’infliction de souffrances par les humains soulève des questions éthiques car
ceux-ci, à la différence des autres espèces, sont bien conscients de l’impact de leurs actions ; de plus, un des aspects
de la nature humaine est d’éprouver des élans de compassion et de penser que faire du mal pose un problème d’ordre moral. Bien que les animaux se causent effectivement de la souffrance et la détresse les uns aux autres, nous, les humains, ne sommes pas pour autant déchargés de la responsabilité morale pour la souffrance et la détresse que nous causons.
Lorsque les restaurationnistes défendent leurs méthodes de mise à mort, ils affirment qu’ils répondent à une autre responsabilité morale – la responsabilité morale de préserver la diversité biologique et de réparer les dommages causés par des gens qui avaient une opinion très différente du monde naturel. Cette justification comporte quelques problèmes, le plus évident étant peut-être qu’elle dépend d’une définition de la nature intrinsèquement contradictoire, une définition qui suppose que la nature est, d’un côté, quelque chose d’à part, d’autonome et de non perturbé par les humains, mais qu’elle est, d’un autre côté, susceptible d’être (re)construite et gérée par les humains. Corrélative à la première définition, selon laquelle la nature est une entité libre de toute interférence humaine, est la croyance que les animaux férals (ou leurs ancêtres domestiques) ont été fabriqués par les humains, qu’ils sont donc dénaturés et n’ont pas leur place dans un paysage naturel. Toutefois, ce mépris pour les animaux « fabriqués » par les humains semble être en contradiction avec la croyance exprimée dans la seconde définition, selon laquelle il appartient aux humains de (re)construire la nature. Problématiques aussi sont les hypothèses selon lesquelles la recréation d’un site archaïque est à la fois un objectif réalisable et une démonstration louable de l’ingéniosité humaine.
Je tiens particulièrement à contester deux suppositions : que tuer des animaux férals pour protéger les espèces sauvages démontre un changement fondamental d’attitudes à l’égard du monde naturel, et que nous ne pouvons pas promouvoir les intérêts de certaines espèces sans faire abstraction de considérations compassionnelles envers d’autres. Je soutiendrai que la destruction violente des animaux perpétue une philosophie selon laquelle les humains ont le droit de détruire des éléments de la nature quand ils le veulent et pour les raisons qui leur siéent. Pour illustrer mon argument, j’examinerai deux exemples de tueries massives d’animaux brouteurs. Dans chaque cas, les tireurs ont justifié cette tuerie au motif que les espèces ciblées « ne cadraient » désormais plus dans la région. Le premier exemple est la tuerie des bisons dans l’Amérique du 19ème siècle. Le second exemple est la tuerie des moutons férals durant les dernières décennies du 20ème
siècle, dans la région de Californie où je vis.
¤ Essai paru dans la revue Between the Species, vol. 13, n° 4, 2004, sous le titre
« Killing AnimalsThat Don’t Fit In: Moral Dimensions of Habitat Restoration ».
Traduit par Marceline Pauly, et publié sur ce blog avec la
permission de l’auteure et de Between the Species.
Ph: Moutons sur l'ïle de Santa Cruz. Sce : islapedia.com