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Tuer les animaux qui ne cadrent pas...4


l'île par cette abondance de porcelets chassent les populations indigènes de renards de l’île de Santa Cruz jusqu’à l’extinction (1). La population de renards s’est effondrée, passant d’environ 1 500 en 1994 à moins de 100 en 2003.  Le Service des parcs nationaux et The Nature Conservancy projette contre les cochons un « assaut en règle, comprenant l’utilisation d’escouades de tireurs» (2). L’ancien responsable du Parc, Tim Setnicka, a baptisé l’assaut projeté « le dernier grand rassemblement », malgré le fait que les cochons seront tués, plutôt que déplacés vivants hors de l’île (3). La détermination farouche d’éradiquer les cochons est décrite ainsi par un journaliste : « Tel le Pentagone face à une armée retranchée, le Service des parcs se prépare pour une guerre totale contre les cochons de l’île de Santa Cruz. Dans cette campagne, il n’y aura pas de prisonniers » (4). Les métaphores militaires occupent une place importante dans les discussions sur l’éradication des animaux férals, et elles ont pour effet de faire de celle-ci une question morale dans laquelle les forces du « bien » (les humains) sont engagées dans une lutte avec les forces du « mal » (les animaux férals). Pour sauver les quelques renards qui restent,  des pygargues à tête blanche ont été amenés pour faire fuir les aigles royaux (5). Ces expériences de restauration révèlent les problèmes inhérents à l'élimination soudaine d’éléments d’une communauté biotique espèce par espèce. Elles devraient nous instruire sur les interactions complexes des divers éléments de l’écologie actuelle de l’île et sur la nécessité de prendre en compte les contributions des animaux introduits. Elles devraient certainement nous conduire à nous demander si la restauration, par opposition à la conservation, est un objectif réalisable et si non, pourquoi l’on tue des animaux dans la poursuite d’un objectif irréalisable. 

A l’instar de The Nature Conservancy, le Service des parcs nationaux espère recréer un paysage précolombien. Cependant, son mandat, comme indiqué dans le Plan de Gestion Général, n’est pas seulement de restaurer la wilderness, mais de la mettre à la disposition des visiteurs humains, pour leur plaisir (6). Ce mandat comporte une contradiction intrinsèque, car les humains d’origine européenne constituent évidemment autant un anachronisme dans un paysage précolombien que les moutons et les cochons. Le Service des parcs, en accord avec sa charge, a néanmoins construit des terrains de camping et des chemins de randonnée et encourage les gens à profiter de l’expérience qui consiste à s’immerger dans un décor qui se rapproche de l’intacte wilderness d’une période antérieure.  De façon ironique, le Parc a également laissé des bâtiments construits par les propriétaires de ranch, afin de conserver la « scène historique » de l’époque des ranchs, mais sans les animaux des ranchs (7). L’augmentation projetée du nombre annuel de visiteurs sur l’île contribuera à la dégradation de la terre et des eaux adjacentes de l’océan. Le Service des parcs n’a cependant aucune tolérance envers les autres espèces non indigènes et avait projeté de tuer les moutons, les cochons et les chevaux férals, une fois entré en possession de la partie orientale de l’île. En fait, les jours avoisinant le rachat par le Parc, le 10 février 1997, environ 1 000 moutons ont été tués près de la limite entre les propriétés du Parc national et de The Nature Conservancy (8). The Nature Conservancy, ainsi qu’il est mentionné plus haut,  tuait des moutons depuis 1981, mais dans un certain secret, car l’accès à la propriété était très restreint. Cependant les tueries durant la première partie de 1997, qui coïncident avec l’ouverture de la partie appartenant au Parc, ont retenu l’attention des médias. Le public a réagi avec indignation aux articles des journaux et aux images télévisuelles montrant des moutons blessés essayant en rampant de se mettre à l’abri, d’agneaux mourant de faim près des corps de leurs mères mortes, et de cadavres pourrissant éparpillés sur les collines. Cédant à la pression du public, sans toutefois admettre avoir mal agit, le Service des parcs rassembla les moutons et les envoya sur le continent pour y être vendus à une vente aux enchères de bétail (9). (Les chevaux furent envoyés dans des refuges pour chevaux en dehors de l’île.) Deux considérations étaient à l’origine de la désapprobation du public envers cette tuerie : l’une que c’était du gaspillage, car on laissait les cadavres pourrir ou être mangés par des oiseaux charognards et l’autre, que c’était cruel, car on laissait souffrir les moutons blessés et les agneaux non sevrés.


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1. Van De Kamp, M., 2000, “8000-acre Gift Would Double Santa Cruz Island Park”, Santa Barbara News-Pres,s April 4 ; Davison, A., 2003, “On the Channel Islands, A War Being Waged”, Santa Barbara News Press, November 28 ; Schoch, D.,  2003, “Golden Eagles Could Die to Save Threatened Foxes”, Los Angeles Times, November 28.
2.  Polakovic, G., 1999, “Taking the Channel Islands Back to Nature”, Los Angeles Times, October 24.
3. Polakovic, G., Ibid ; Kelly, D., 2002, “U.S. to Aid Island's War on Wild Pigs”, Los Angeles Times, February 6.
4. Burns, M., 2001, “Waging war on wild pigs”, Santa Barbara News Press, March 12:1.
5. Polakovic, G., Ibid ; Todd, M., 2004, “Five Freed Island Foxes Become Eagle Food”, Santa Barbara News-Press, January 8.
6. National Park Service, op. cit., p. 81-82
7. National Park Service, op. cit., p. 36, 37, 41, 44  et 45.
8. Burns, M. 1997a, op. cit.
9. Burns, M. ibid ; MacGregor, H., 1997,  “Great Sheep Roundup Begins “ Los Angeles Times, July 17 ; Schultz, C. 1997., “Head'em up! Move'em out!”, Santa Barbara News-Press, July 17; Polakovic, G., op. cit.