.
.

Tuer les animaux qui ne cadrent pas...7


céréales, ni les loups comme des prédateurs qui tuent nos moutons ou nos bovins. En fait, nous voyons à présent les espèces sauvages sous un jour romantique. Le loup, par exemple, autrefois chassé jusqu’à la limite de l’extinction, est passé du symbole effrayant d’une violence déchaînée, au symbole précieux d’une liberté sans limite. Et, dès lors que nous accordons une grande valeur aux espèces sauvages, nous nous intéressons aussi à la conservation de leur habitat. Dans la plupart des cas,  ce nouveau système d’évaluation a produit des résultats positifs et nous a encouragés à prendre en considération les intérêts des espèces animales et végétales que  nous n’avions jamais domestiquées. Les bisons, par exemple, ne sont plus vus comme nos concurrents pour l’utilisation de la terre. Les animaux décrits par les chasseurs des voitures Pullman comme étant maladroits et stupides sont devenus à présent des symboles de la force et de l’indépendance de l’Amérique. En réalité, bien sûr, les bisons ne pourraient plus exister sans indépendamment des plans de gestions humains. Après avoir réduit leur population de plusieurs millions à plusieurs milliers, nous avons restreint leur déplacement à des zones réservées, et nous les contrôlons et protégeons à l’intérieur des limites que nous avons établies. Le processus même qui consiste à gérer des espèces sauvages et à leur attribuer des réserves brouille les distinctions traditionnelles entre espaces sauvage et domestique. Ainsi, dans notre monde pastoral post-moderne, nous sommes devenus, de façon ironique, les bergers des espèces sauvages. Parfois même nous les amenons au sein de nos espaces urbains pour les soigner. Par exemple, les renards indigènes de l’île de Santa Cruz ont été emmenés, pour leur protection,  dans un zoo du continent.

Cependant, tout en étant disposés à approuver la gestion, par les humains, des espèces sauvages, nous continuons de chérir l’illusion que les espaces sauvages et civilisés, ou que les activités naturelles et humaines, sont des domaines qui s’excluent mutuellement. Nous avons conservé la dichotomie conceptuelle développée par nos ancêtres, mais avec deux modifications importantes pour cette discussion : nous attribuons désormais une valeur intrinsèque aux espèces sauvages, mais nous avons retiré les animaux férals de la catégorie « sauvages ». Sur l’île de Santa Cruz, l’alternative à la tuerie des moutons était de les classer comme animaux domestiques et de les expédier par bateau à un marché de bétail, c’est-à-dire de ne leur attribuer qu’une valeur de marchandise.  Pour les biologistes et les dirigeants du Service des parcs nationaux et de The Nature Conservancy, le processus d’adaptation du mouton à son environnement n’a aucun intérêt pour l’étude des processus naturels. Dans les régions que nous choisissons de « re-ensauvager » - un terme utilisé par certains partisans de la restauration (1) – la présence des animaux férals comme les moutons et les cochons nous offusque car nous associons ces espèces aux paysages cultivés. Par conséquent, nous qualifions ces animaux d’« inadaptés » et refusons de les accepter comme un élément naturel du paysage dans lequel ils sont nés et dont ils sont, par conséquent, natifs.  Frank Mayer a observé que « le bison ne cadrait pas avec l’envahissante civilisation humaine …et devait donc disparaître. » Aujourd’hui, moutons et cochons férals ne cadrent pas avec les projets de restauration ni avec notre vision changeante de ce à quoi l’environnement non-urbain devrait ressembler,  aussi doivent-ils disparaître. Les mots « introduit » et « exotique » ont remplacé « prédateur » et « nuisible » en tant que termes qui destinent un animal à l’extermination.

Les expériences de restauration sur l’île de Santa Cruz ont indiqué que le retrait rapide et total des moutons produisait de nouveaux problèmes écologiques, et qu’un pâturage limité pouvait être une meilleure stratégie si le but était d’assurer la survie des espèces précolombiennes. Néanmoins, de nombreux restaurationnistes plaident pour l’élimination totale des animaux férals.  Leur but n’est pas seulement la protection de certaines espèces, ce qui pourrait être obtenue sans en éliminer violemment d’autres, mais aussi la re-création d’un paysage d’antan, d’un site que les humains peuvent visiter, mais où les animaux férals ne sont pas les bienvenus car ils  nous rappellent nos pratiques d’exploitation et rompent l’illusion que nous avons construit une wilderness intacte. Nos ancêtres étaient fiers de leur habileté à transformer la wilderness en civilisation ;  nous sommes fiers de nos efforts pour redonner à certaines zones cultivées un semblant de leur apparence d’autrefois et nous ne voulons pas que la présence d’animaux férals ruine l’image que nous avons créée.

Le mépris pour les animaux férals est lié au mépris pour les animaux domestiques exprimé par nombre d’environnementalistes, même s’ils apprécient les produits des industries de la viande et de la laine, causes de dommages à l’environnement et bio-uniformes. Par exemple, les écologistes profonds ont soutenu que le développement de l’agriculture avait initié une séparation regrettable entre les humains et la « nature »





1. Soule, M. and Noss, R., 1998,  “Rewilding and Biodiversity : Complementary Goals for Continental Conservation”, Wild Earth 8,  p.18-28.